Jean-François Revel, la valeur dans la maison vide
Jean-François Revel, qui vient de quitter ce monde, a été, non pas mon maître à penser, expression que je n’aime pas beaucoup, mais un des guides de ma réflexion pendant quarante ans.
Je fis sa connaissance en 1966, en lisant Contrecensures , un recueil d’articles écrits dans divers hebdomadaires depuis 1958, et paru chez Jean-Jacques Pauvert. Je découvris alors l’esprit « revellien », construit sur une analyse profonde, exhaustive et fine des situations, le style « revellien » : clair, incisif, imagé et polémique ( il compara, plus tard, le fameux congrès socialiste de Rennes à « une rixe entre ivrognes dans un bordel mexicain »), style, dont je suis aujourd’hui tellement imprégné qu’il influe, sans que je m’en rende toujours compte, sur ma prose dans Vent d’Auvergne.
Depuis cette date, j’achetai tous ses livres dès leur parution. Son antépénultième, La grande parade, s’orne, sur la seconde page de garde, d’une dédicace de l’auteur, que je lui arrachai au moment où il sortait d’un cocktail pour se rendre à un dîner parisien. « Les dédicaces s’écrivent toujours sur la deuxième page de garde » me dit cet homme charmant alors que, néophyte en fait de signatures, j’ouvrais le bouquin à la première.
Cela se passait après l’assemblée générale de l’ALEPS(1), association créée par les « nouveaux économistes », qui venaient de lui remettre le prix du livre libéral de l’année 2000. Car ce professeur, ce philosophe, ce journaliste, cet écrivain devenu académicien en 1997 (le seul bon souvenir qui me reste de cette année de peste) était un grand défenseur du libéralisme. Inlassable mousquetaire au service de la liberté et de la vérité, il pourfendait l’anti-américanisme primaire, le totalitarisme communiste, l’hypocrisie socialiste, bref tout ce qui en France se vautrait , et se vautre toujours, dans le mensonge politiquement correct. L’establishment l’avait pris en grippe et, à chaque parution d’un de ses livres, ses plumitifs, embrigadés dans la grande armée du décervelage national, s’empressaient, de leurs niches, d’aboyer sur l’homme pour le disqualifier, sans se soucier de lire l’oeuvre et donc d’en parler.
Je conseille aux Français de bonne volonté qui ne sont pas atteints par l’illettrisme ambiant et qui gardent, au fond d’eux-mêmes, une petite flamme anticonformiste, de lire ou relire les livres de Revel qui apportent un peu de lumière dans ce « siècle des ombres » que fut le XXème et qui se prolonge, hélas ! -pour combien de temps encore?- dans le XXIème.
Serge Weidmann
(1) Association pour la Liberté Economique, et le Progrès Social. Fondée sous l’autorité de Jacques Rueff, elle rassemble des universitaires, des hommes politiques, des responsables d’entreprises, des étudiants, tous épris des idées de liberté et de responsabilité. Voir son site internet : www.libres.org