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Vent d'Auvergne
26 mai 2008

Les deux visages de mai 68

68_intox_050J’ai vécu mai 68 au Quartier latin à Paris où j’étais étudiant. J’ai manifesté, contesté et refait le monde à qui mieux mieux, comme pratiquement tous ceux qui m’entouraient. Je sais que je vais faire des envieux en disant cela : tous ceux qui n’y étaient pas car trop loin ou trop jeunes. Et qui, en plus, vont m’en vouloir à mort d’être devenu un fieffé libéral vendu à un ancien d’Occident comme Madelin, un traître à mes idéaux de jeunesse, d’avoir rompu avec mes camarades de cette révolution particulière qui, eux, restent plein de nostalgie de cette période-là et s’échinent à la ressusciter rituellement depuis quarante ans.

Cet anniversaire me donne l’occasion de dresser un bilan. Rétrospectivement, je dirai que j’avais de bonnes raisons d’en être. Il y avait des fleurs intéressantes sur cet arbre de mai. Les fruits ne tinrent pas tous les promesses des fleurs. Nous vivions dans une société où les adultes étaient rois et nous étouffaient. Nos parents, nos professeurs, nos collègues plus âgés même, étaient, de fait, des autorités et se comportaient comme telles sans vergogne. Ils infantilisaient, sans s’en rendre compte, leur progéniture, leurs élèves, étudiants ou jeunes collègues. Au fond de nous-mêmes, nous enragions de ne pas être reconnus  comme dignes de confiance et nous aspirions très fortement à prouver à ces figures tutélaires que nous avions des choses à dire et à faire. Mai 68, sur ce point, fut pour nous, les jeunes, un acte de libération.

Certes, dans cette jeunesse, il existait des groupes très politisés, bien organisés et formés à la dialectique. Les marxistes de tous poils: maoïstes, trotskistes, et j’en passe, donnaient le là de la contestation, écrivaient nos slogans, politisaient la révolte. Dans la société libérée qui surviendrait après mai, leur militantisme, récupéré par l’union de la gauche de Mitterrand, leur ouvrirait toutes grandes les portes du pouvoir. Ils allaient, en masse, s’y engouffrer pour mettre à bas l’ordre bourgeois, nous imposant leurs marottes sociétales décadentes au nom du « il est interdit d’interdire », sans trop se soucier de savoir si le bébé n’allait pas disparaître avec l’eau du bain. A eux, les places, les honneurs et la belle vie. Adieu la générosité, la défense d’une société d’hommes libres! En quoi alors, ceux que mai avait libérés, devaient-ils leur être redevables de quoi que ce soit  et leur payer tribut?

Ce fut la grande ambiguïté de mai, comme de toutes les révoltes ou révolutions : les naïfs et les purs n’ont pas eu le même destin que les Rastignac.  D’un côté, ceux qui voulaient vivre dans une France plus ouverte, moins étouffante, de l’autre, ceux qui, bien calés dans leur idéologie, aspiraient à devenir les nouveaux censeurs de la société. A cause d’eux aujourd’hui, on peut certes, à condition d’en avoir les moyens et le tempérament, « jouir sans entrave », mais on ne peut pas penser librement, le politiquement correct étant là pour nous le rappeler chaque jour que Dieu fait.

Pour ma part, mai 68 m’a donné la force de liquider mai 68. Parce que ce mouvement, tel Janus, montrait deux faces antagonistes: une de libération des esprits, l’autre de sujétion idéologique, je me suis, durant ces quarante années, évertué à faire fructifier la première et à rejeter la seconde.

Serge Weidmann

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