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Vent d'Auvergne
2 octobre 2005

L'Europe, après le referendum

A la Convention de l’UMP pour l’Europe, qui s’est déroulée les 23 et 24 septembre 2005 à La Mutualité, Valéry Giscard d'Estaing est intervenu à la fois pour analyser le référendum passé et la situation présente et faire des propositions pour l’avenir de l’Europe.

La réflexion de l’ancien Président, pour qui la construction européenne fut l’horizon de sa vie politique, a toujours été d’une richesse, d’une profondeur et d’une acuité sans égales sur ce sujet qui demeure, pour lui, le projet phare de nos démocraties occidentales.

C’est la raison pour laquelle j’ai mis en ligne ce texte, comme une pièce importante aux débats français à venir.

SW

vgeJe suis reconnaissant à votre Président, Nicolas Sarkozy, de m’avoir proposé de vous présenter, en tant qu’ancien Président de la Convention européenne, une communication sur le projet européen de la France. Ceci me rappelle le moment où nous travaillions ensemble sur ce sujet lorsqu’il dirigeait, avec son activité et sa compétence reconnues, la campagne de notre liste commune aux élections européennes de 1989.

Ce sujet est important, même s’il ne passionne pas actuellement les Français, qui ont d’autres soucis, ou d’autres intérêts.

Mais il faut leur rappeler qu’une grande partie de notre activité économique est affectée par les décisions européennes : commerce international, monnaie, concurrence, et donc chômage.

On ne peut pas se désintéresser de l’Europe, et se plaindre des effets de son action.

Or le système européen fonctionne mal. Il est compliqué, obscur, et peu performant.

Tout le monde l’a dit, et s’est accordé sur la nécessité de le réformer.

Le projet de réforme a été écarté par les électeurs français, dans les conditions que vous avez examinées cet après-midi. Après le rejet du referendum, les Français s’interrogent. Où allons-nous ? Je limiterai cette communication à deux thèmes :

- la réforme des Institutions européennes,

- l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, dont j’ai été, me semble-t-il, le premier à dénoncer voici trois ans les dangers pour la poursuite de l’intégration européenne.

Pour la première fois depuis cinquante ans, la France n’a plus de projet pour l’Europe !

Depuis de Gaulle jusqu’à l’an dernier, elle a toujours eu un projet européen, et elle a su faire aboutir ses propositions ! Je passerai rapidement sur la liste : marché commun, création du Conseil européen, élection du Parlement au suffrage universel, adoption de l’Euro.

Aujourd’hui, elle n’a plus de proposition,

- ni aux yeux des Français ! Si on leur demande : quel est aujourd’hui le projet européen de la France, ils sont perdus et ne savent pas quoi vous répondre ;

- ni aux yeux des Européens ! La perplexité règne dans toute l’Europe sur les véritables intentions des Français.

Et, ce qui est plus grave : l’Europe n’a plus de projet pour l’Europe, comme viennent de le démontrer les déclarations négatives du Président de la Commission européenne, qui sort manifestement des limites de sa fonction, comme le lui ont vertement rappelé les Parlementaires européens.

L’Europe semble avoir perdu le courage de réformer ses institutions. Elle continue à vouloir s’élargir, sans avoir la force de se réformer.

Et quatre mois à peine après le rejet français, elle avance dans deux directions, qui apportent un démenti aux thèmes de la campagne électorale, des partisans du « non » comme celle des partisans du « oui » :

Le Président de la Commission européenne vient de publier dans la presse internationale un éditorial sous le titre : « L’Europe doit s’ouvrir au monde globalisé ».

Et le Lundi 3 Octobre, le Conseil se prépare à décider à l’unanimité, donc avec l’accord de la France, une négociation avec la Turquie, dont le mandat déclare que « l’objectif commun est l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ».

Ainsi, sans être capable de réformer ses institutions, et de se mettre d’accord sur son budget, l’Europe a seulement la capacité d’accueillir un nouveau membre, situé hors du continent européen, qui sera le plus peuplé de tous les Etats membres, le plus pauvre, et qui appellera une aide financière massive.

Comment en est-on arrivé là ?

Le referendum sur le Traité constitutionnel a été perdu pour une raison simple : parce que c’était un referendum !

Le referendum souffre d’une faiblesse congénitale : dans un referendum, le « oui » est au singulier alors que le « non » est au pluriel !

Il n’y a qu’une seule manière de dire « oui », mais tous les « non » s’additionnent même s’ils sont contradictoires.

A cela s’ajoute le fait que, le plus souvent, les électeurs français ne répondent pas à la question posée.

Certains se sont prononcés contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, d’autres contre les délocalisations, d’autres contre la politique économique et sociale.

D’autres, enfin, ont été trompés par l’odieuse manipulation du « plan B », qui devait remplacer la Constitution, à l’avantage des Français ! Quatre mois plus tard, chacun réalise que les Français ont été cruellement abusés : pas une seule ligne de ce Plan n’a été publiée pour une raison simple, c’est qu’il n’a jamais existé ! Lorsque les auteurs de cette manipulation cynique se présentent devant les caméras et les micros, à la recherche des plus hautes fonctions de l’Etat, la première question à leur poser est de leur demander : « Où est le plan B ? Montrez-nous ce fameux plan B, que vous avez fait gober aux Français ? ».

Il était normal d’avoir recours au referendum lorsqu’il s’agissait de mettre en place les nouvelles institutions européennes, et la Charte des droits fondamentaux, car ces dispositions avaient effectivement un caractère constituant.

Par contre, cette démarche n’était pas justifiée, lorsqu’il s’agissait seulement de consolider l’ensemble des Traités antérieurs, ce que faisait la troisième partie du projet, de loin la plus considérable par son volume difficilement lisible et parfaitement rebutante.

C’est pourquoi je suis intervenu, en recommandant de ne pas surcharger le texte, et de se limiter aux deux premières parties. Cette recommandation n’a pas été suivie. Si bien que la partie proprement Constituante a été à peine contestée. Et c’est malheureusement sur cette troisième partie que s’est concentrée la discussion !

Mais acceptons les faits : le pluriel des « non » l’a emporté sur le singulier du « oui ».

Je n’en veux pas moins remercier chaleureusement chacune de celle et chacun de ceux qui, dans le secret de l’isoloir, ont choisi de dire « oui » au projet d’inspiration française, qui rénovait et modernisait les Institutions de l’Europe.

La France, fondatrice de l’Union européenne est dans une situation étrange, on peut même dire absurde.

Elle était, avec l’Allemagne, le principal Etat membre intéressé à la révision du Traité de Nice, dont personne ne conteste plus le caractère nocif, qui nous a fait perdre notre deuxième Commissaire, et qui a minoré nos droits de vote dans des proportions inacceptables En proposant de nouvelles institutions, bonnes pour l’Europe, elle améliorait aussi sa situation. Et c’est pourtant elle qui, aux yeux des autres Européens, est responsable du blocage du projet de Constitution.

Nous sommes aujourd’hui hors d’état de reprendre l’initiative, et on ne voit pas quel Etat le ferait à notre place ! Bien que la majorité de nos partenaires ait ratifié le Traité, ils attendent de savoir ce que nous allons faire.

Or l’Europe du Traité de Nice n’est viable, ni à moyen ni à long terme, et on va continuer à s’en apercevoir.

L’Europe risque de végéter dans l’indifférence des opinions publiques, qui feront reproche à l’Europe des défauts que la Constitution visait précisément à corriger.

La reprise du projet de réforme des institutions européennes passe par un changement d’attitude de la France : ce sera une affaire délicate que vous pouvez commencer à préparer.

Il faudra renouer les fils du dialogue, mieux expliquer le contenu des propositions, apporter des réponses précises à ceux qu’effraie à juste titre la désindustrialisation de notre continent. Ceci appellera, après la grande consultation de 2007, une nouvelle initiative française.

Et la France sera en situation de retrouver le rôle qu’elle n’avait jamais cessé de tenir, celui d’animatrice du projet d’Union de l’Europe.

Le projet qui va capter l’attention de l’opinion, c’est l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, le 3 Octobre prochain.

Les Français dans leur large majorité ne souhaitent pas l’entrée de la Turquie dans l’Europe politique - je dis bien politique - avec tous les droits et les devoirs qui en découleraient, notamment celui d’assurer, par le jeu de la rotation, la Présidence de l’Union européenne ! Imaginez un instant le caractère singulier de la rencontre annuelle entre l’Europe et les Etats Unis d’Amérique où la délégation européenne serait représentée par la Présidence turque.

Ils ont exprimé cette position à l’occasion du referendum, et ils l’ont répété tout au long des sondages effectués par l’Euro-baromètre. Cette attitude est une donnée du débat démocratique français, qui ne peut pas être ignorée !

Mais ils redoutent que, quatre mois après le referendum, cette décision soit prise dans leur dos.

Jusqu’à présent, on n’a jamais dit aux Français ce qu’ils ont le droit d’entendre sur ce sujet. Après les années d’ambiguïté, et de double langage vis-à-vis des Turcs, chacun a le devoir de s’exprimer en toute clarté sur ce sujet.

On promet aux Français qu’ils conserveront, au terme de cette négociation, à laquelle la France va participer, le pouvoir de dire non.

Mais avec le bon sens cher à Descartes, nos compatriotes se disent que jamais la France n’aura un poids suffisant pour s’opposer, à l’issue de dix ou quinze ans de négociations et de concessions mutuelles à l’entrée de la Turquie.

Les évènements actuels semblent leur donner raison : l’an dernier, on nous parlait encore d’un délai de 20 ans ! Aujourd’hui on en est à dix ou quinze ans ! Gageons que l’an prochain, on envisagera une durée de 5 à 10 ans.

Dans l’habileté de la présentation, l’accent porte sur les conditions mises à l’entrée de la Turquie. On sous-entend que ces conditions seront si sévères qu’elles feront capoter la négociation. On n’est pas loin du double langage !

Ce ne sont pas les conditions qui comptent, mais le principe même du projet ! On l’a vérifié dans chaque occasion semblable.

Or concernant le projet, il existe une contradiction évidente entre la poursuite de l’intégration politique de l’Europe, et l’entrée de la Turquie dans les institutions européennes. Ces deux projets sont incompatibles.

Ce n’est pas une découverte. Je l’ai déclaré, avec d’autres d’ailleurs, dans un grand magazine, en Décembre 1999 !

Si l’on souhaite poursuivre la construction européenne, on ne peut qu’écarter l’entrée de la Turquie dans son système institutionnel.

Et à l’inverse, si on pousse à cette entrée, c’est une manière d’interrompre l’intégration du continent européen. Ceci explique l’ardeur de la diplomatie britannique à faciliter l’entrée de la Turquie.

Les Français, selon l’expression familière qu’ils emploient, pensent qu’ils sont désormais dans la seringue, avec une seule issue possible, imposée d’avance par les pressions extérieures.

Nul doute que les candidats aux prochaines élections seront nombreux à se dire hostiles à l’entrée de la Turquie, et tiendront à cet égard des propos rassurants. Le virage commence à être pris, pas seulement en France, mais en Europe selon les sondages de l’Euro-baromètre. Mais est-ce une réponse suffisante ?

Je ne le pense pas. Les Français font moins confiance à leur classe politique. Celui qui ne se contentera pas d’un langage lénitif et ambigu, mais qui dira clairement comment il est décidé à sortir très vite de cette seringue, ce candidat répondra réellement aux attentes de nos compatriotes. J’ai dit « très vite » car le temps dans cette affaire délicate est un facteur décisif.

La France, l’Allemagne et l’Europe traversent une mauvaise passe sous la poussée de la désindustrialisation et de leur faible croissance. L’opinion est inquiète. Les citoyens ont peur de perdre ce qu’ils sentent ne pas pouvoir garder ! Ils ont besoin, sur tous les sujets, qu’on leur parle clairement, et qu’on sorte de l’ombre et de l’ambiguïté.

En ce qui concerne la Turquie, l’UMP et son Président vont évidemment beaucoup réfléchir aux propos qu’ils vont tenir.

Mon sentiment est qu’il convient de s’exprimer clairement, à partir de propositions bien préparées :

- en direction de la Turquie, d’abord, en indiquant qu’il ne s’agit pas de dire « non à la Turquie ! ». Comme l’insinuent les partisans de l’adhésion, mais de proposer une « autre démarche » ouverte et réaliste, permettant d’établir entre nous, des relations de coopération intenses, cordiales, et évidemment pacifiques, tout en respectant notre appartenance à des cercles culturels et géographiques différents. L’histoire et la culture de la Turquie méritent le plus grand respect mais il se trouve qu’elle n’est pas en Europe ! L’exemple des relations entre les Etats Unis, le Mexique, et le Canada, pourra alimenter nos propositions ;

- vis-à-vis du mandat de négociation donné à la Commission, il ne serait pas acceptable de maintenir le membre de phrase selon lequel « l’objectif commun de la négociation est l’adhésion ». Cette affirmation ne reflète pas la volonté démocratique du peuple français. Elle doit être retirée, ou modifiée, comme le demande également l’Autriche ;

- enfin, pour l’avenir, l’UMP doit faire connaître par quels moyens la France devra sortir au plus tôt de la seringue où elle sera enfermée, et modifier le processus en lui proposant de nouveaux objectifs. Ce sera son droit strict, car toute la démarche d’adhésion se déroule d’un bout à l’autre selon la règle de l’unanimité.

Il faut avoir le courage de mettre fin au malentendu permanent qui a empoisonné depuis dix ans les relations entre la Turquie et l’Europe, deux grands ensembles qui doivent prouver leur capacité de se respecter mutuellement et de coopérer, sans pour autant chercher à fusionner.

C’est un sujet important qui exige de la réflexion, de la détermination, du sang-froid, et beaucoup de clarté.

Mais n’est-ce pas précisément, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de l’UMP, ce que les Françaises et les Français attendent, et espèrent, de leurs gouvernants.

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