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Vent d'Auvergne
11 juin 2008

Langues régionales et démagogie

_cole_primaireEn son temps, j’ai dit, dans un article, tout le mal que je pensais de la revendication consistant à faire reconnaître, dans les traités et la constitution, les langues régionales. Cela m’avait valu les foudres d’un poilu de l’Occitanie militante (1).
Aussi, je suis ravi de lire le dernier papier que Denis Tillinac consacre à cette question dans le numéro de Valeurs actuelles du 6 au 12 juin. Il exprime, mieux que je l’ai fait, les raisons de s’opposer à cette lubie. Et ses arguments font d’autant plus mouche, qu’ils viennent d’un écrivain, enraciné dans le terroir provincial occitan. Vous trouverez ci-dessous son analyse.      SW

J’avoue avoir prêté une attention distraite à la réforme institutionnelle qui agite la gent parlementaire. Pour tout dire, je m'en fiche un peu, pourvu qu'elle ne handicape pas l'exercice du pouvoir exécutif; il est bien assez bridé par les contraintes du marché, les diktats de Bruxelles, les caprices des députés, l'hystérie des médias et les crises de nerfs de l’« opinion ».

C'est pourquoi je dois à la perspicacité de Catherine Nay de dénoncer une sottise: la légitimation dûment inscrite dans notre Constitution des langues régionales, qui le sont déjà au niveau européen. Cette inopportune démagogie risque d'exhumer de vieilles lunes régionalistes. Vieilles et aigres comme tous les replis sur le pré carré identitaire qui enténèbrent le ciel politique européen, de Barcelone à Glasgow en passant par Milan et par les cadavres de feu la Yougoslavie.

S'agissant de langue, le gros souci de la France, c'est l'apprentissage et la maîtrise de la sienne, le français d'oïl en l'occurrence. Darcos ne cesse de le seriner et il a raison: les copies de nos écoliers, voire de nos étudiants, étalent un sabir dépourvu de syntaxe et truffé de fautes d'orthographe. Pour l'écrivain francophone que je suis, il y a péril en la demeure de notre culture.

Sarkozy semble partager cet avis. Pourquoi alors sanctuariser les quelques dizaines d'idiomes que l'on parle encore dans nos terroirs, plutôt peu que prou ? Du temps de ma grand-mère, on parlait l'occitan limousin au village. La génération de mon père le comprenait encore mais l'usage s'en perdait; il nous en reste des mots et des tours de langage savoureux, c'est très bien ainsi.

Que des érudits enseignent à titre conservatoire l'occitan à Toulouse, soit; il s'agit de notre patrimoine, et Dieu sait mon conservatisme en la matière. Que des Alsaciens, Bretons, Corses, Catalans, Basques, Picards et autres s'expriment entre eux dans le parler de leurs ancêtres, c'est leur affaire. Mais en institutionnalisant les idiomes, on incite tel farfelu "autonomiste" à exiger l'ouverture d'un cours au collège, au lycée, à la fac, avec à la clé un diplôme d'une utilité pour le moins marginale. La France n'a plus les moyens de se payer des danseuses, les modernes duchés induits par la décentralisation lui coûtent déjà assez cher.

Depuis l'édit de Villers-Cotterêts, la langue française est le lot et le bien commun du peuple français. Ceux qui, à gauche notamment, se gargarisent à tous escients du mot « république » et vouent un culte aux "hussards noirs" de Jules Ferry seraient-ils frappés d'amnésie ?

Ce culte, je le partage; les instits de la IIIe République ont alphabétisé les masses rurales en deux générations, et accéléré par le fait le fameux "ascenseur social" qui a donné un Nadeau, un Pompidou entre autres fils ou petit-fils de paysans. Mais pour atteindre ce but, ils interdisaient sans vergogne l'usage des « patois », même à la récré. Un bobo les eût sans doute traités de fachos. Peu importe : ils ont donné à des Français, venus de partout, le sésame d'un patriotisme. « Une patrie, écrivait Cioran, c'est une langue, et rien d'autre. » Cioran était roumain de souche, son « rien d'autre » ne vaut pas pour tous.

Reste que le latin jadis, le français depuis auront tissé au fil des siècles la trame d'une unité précieuse. Ne la déchirons pas pour complaire aux quelques apôtres de la réclusion dans les mornes geôles de l'identitaire. Au regard des géants qui surgissent dans l'Histoire, notre Hexagone et ses appendices sont microscopiques. A quoi bon y cultiver en vase clos des ferments de désintégration ? Militons plutôt pour la cause francophone: nul ne s'en soucie alors qu'elle est cruciale pour l'avenir de notre progéniture.

Denis Tillinac

(1) Lire mon article « Auvergne : toi ou patois »
http://ventdauvergne.canalblog.com/archives/2006/06/25/2165906.html

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Commentaires
T
"Depuis l'édit de Villers-Cotterêts, la langue française est le lot et le bien commun du peuple français." Si vous êtes intéressé par un démontage en règle et historiquement étayé de ce lieu commun voir "La légende de Villers-Cotterêts<br /> http://taban.canalblog.com/archives/2008/08/02/10116754.html<br /> sinon tout le reste du message est du même acabit : une suffisance et une ignorance sans bornes.<br /> JP Cavaillé
M
Je vous ai vu débattre de ces questions à la télé et j'aimeai prendre contact avec vous très rapidement.<br /> Merci de me répondre.<br /> <br /> A. MENZAGHI
D
Ah, ce cher Serge Weidmann... Cela faisait bien longtemps que je n'avais eu l'occasion de lire sa rafraîchissante prose. Et le voilà, à nouveau, son lisse visage d'éphèbe encore tout rosi de l'affront municipal, s'attaquant aux langues régionales. Ce n'est pas une première, il l'écrit lui même, il avait déjà commis un article auparavant. Tiens, d'ailleurs, à ce sujet, il oublie de dire qu'il a tout bonnement censuré ma dernière réponse à ce navrant "toi ou patois".<br /> Bref, cette fois-ci, le grand Serge, ayant compris que ses connaissances ne lui permettent pas de soutenir une discution en la matière (la preuve, il censure les réponses), a préféré donner la parole à Denis Tillinac, ancien journaliste à la Dépêche devenu auteur dans le sillage de Michelet. Ainsi notre Serge bien aimé pense-t'il nous jouer un bon tour : c'est de la plume même d'un écrivain "enraciné dans le terroir provincial occitan" que vient la critique. Touchante naïveté. Car le seul mot "provincial" résume déjà le propos. Laissez moi, à mon tour citer un article. Il est de Jean Pierre Cavaillé, et il traite d'un livre, "la province en héritage". En voici un extrait :<br /> "Vous avez dit « Province » ?<br /> Une petite réflexion d’abord sur la notion de « province », telle qu’elle est utilisée dans le titre de l’ouvrage, c’est-à-dire en son sens franco-français. Elle l’est avec une évidence qui la dispense de toute définition : pourtant sa charge idéologique mérite pour le moins d’être interrogée. Dans cet « héritage », qui est d’abord celui du centralisme, on ne parle jamais de province que par rapport et surtout à partir de la capitale, en adoptant la position hégémonique de Paris en tous les domaines ; politique, universitaire, littéraire, etc. Il y a sous le mot de province l’affirmation d’une étroite subordination de tout un territoire à son centre commun, un centre solaire qui rayonne sur des périphéries proches et lointaines, un centre qui absorbe l’énergie brute – forces de travail, d’imagination, d’intelligence – des « confins », et la transforme en pouvoir, en savoir, en création. Sans revenir à l’étymologie assez désastreuse qui fait du provincial un vaincu, le mot de « province » est inséparable en contexte français de la relation de pouvoir, d’un pouvoir tout aussi réel que symbolique, par lequel la capitale domine, contrôle et administre des unités territoriales privées de toute espèce d’autonomie. La province n’a pas de lumière propre : elle est périphérie plus ou moins lointaine, obscure, rétive, malgré tous les efforts d’éclairage et d’acculturation de la ville capitale. Elle est le gros ventre mou des inerties linguistiques, culturelles et politiques. Tout ce qui s’y fait, s’il ne vient directement de la capitale par le TGV du matin, étant inévitablement gratifié de l’épithète infamant : « provincial ». C’est pourquoi le mot de province est proprement insupportable, où résonne la supériorité, la condescendance, la suffisance et finalement le mépris, qui confond dans une même indistinction, une même étendue indifférenciée, toutes les différences géographiques, historiques, sociales et culturelles... Jamais du reste, jamais, à Albi, à Perpignan, à Quimper, à Limoges, nous n’aurions l’idée de nous affubler nous-mêmes du nom ridicule et déclassant de « provinciaux ». Lorsqu’on utilise le mot de province, c’est pour signifier que l’on en est pas ou que l’on en est plus… même si l’on tire gloire d’y être né. Richard Millet a le mérite de la clarté : « on naît Limousin pour devenir Parisien, c’est-à-dire en reniant son origine provinciale » (Nouvel Observateur du 1-7 avril 2004 : Le Régionalisme contre la province). Province est un mot de renégat, le provincialisme une idéologie de la dénégation. Constatant qu’aucun des auteurs ne vit dans les lieux dont il parle, S. Coyault-Dublanchet écrit que « la province est donc observée seulement après qu’on l’a quittée » (p. 13). Il faudrait commencer par dire que la province ne commence à exister que dans cette fuite et cette dénégation, que l’usage du mot est l’acte même du reniement. En ceci le titre proposé par S. Coyault-Dublanchet est parfaitement bien trouvé. C’est aussi que l’on s’adresse d’abord à ceux qui se situent du même côté – le bon évidemment –, de la ligne de partage et à tous ceux, de Brive ou d’ailleurs, qui, par projection mimétique, se rêvent parisiens. De sorte que, si l’on accepte la notion de province, alors on ne saurait reconnaître un rapport autre que de domination et de subordination entre la culture et la langue de la capitale et ce qu’il reste des autres cultures et des autres langues dans l’étendue du territoire national. On ne peut parler de « province » sans mobiliser l’idéologie centraliste, sans se prosterner devant l’idole de la langue unique, sans affirmer l’exclusivité de la culture made in Paris, généreusement distribuée par la « décentralisation », qui n’est autre chose qu’une réaffirmation du centre dans les périphéries, comme l’avait parfaitement vu Félix Castan."<br /> <br /> (intégralité de l'article : http://www.fabula.org/revue/document528.php)<br /> <br /> Ainsi, mon cher monsieur Weidmann, à citation, citation et demie. Dans son article, Denis Tinillac ne propose aucune argumentation, il n'avance aucune preuve, il ne fait que brandir et secouer quelques épouvantails, jouant sur la peur pour étayer son propos. C'est ainsi qu'il s'enferme dans ce qu'il appelle les "mornes geôles de l'identitaire", lui, qui semble tant chérir ce concept de "patriotisme", cocardier en diable et dont la substance nationaliste ne peut s'empêcher de suinter... Décidément oui, le provincialisme tue notre pays...
Vent d'Auvergne
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