Langues régionales et démagogie
En son temps, j’ai dit, dans un article, tout le mal que je pensais de la revendication consistant à faire reconnaître, dans les traités et la constitution, les langues régionales. Cela m’avait valu les foudres d’un poilu de l’Occitanie militante (1).
Aussi, je suis ravi de lire le dernier papier que Denis Tillinac consacre à cette question dans le numéro de Valeurs actuelles du 6 au 12 juin. Il exprime, mieux que je l’ai fait, les raisons de s’opposer à cette lubie. Et ses arguments font d’autant plus mouche, qu’ils viennent d’un écrivain, enraciné dans le terroir provincial occitan. Vous trouverez ci-dessous son analyse. SW
J’avoue avoir prêté une attention distraite à la réforme institutionnelle qui agite la gent parlementaire. Pour tout dire, je m'en fiche un peu, pourvu qu'elle ne handicape pas l'exercice du pouvoir exécutif; il est bien assez bridé par les contraintes du marché, les diktats de Bruxelles, les caprices des députés, l'hystérie des médias et les crises de nerfs de l’« opinion ».
C'est pourquoi je dois à la perspicacité de Catherine Nay de dénoncer une sottise: la légitimation dûment inscrite dans notre Constitution des langues régionales, qui le sont déjà au niveau européen. Cette inopportune démagogie risque d'exhumer de vieilles lunes régionalistes. Vieilles et aigres comme tous les replis sur le pré carré identitaire qui enténèbrent le ciel politique européen, de Barcelone à Glasgow en passant par Milan et par les cadavres de feu la Yougoslavie.
S'agissant de langue, le gros souci de la France, c'est l'apprentissage et la maîtrise de la sienne, le français d'oïl en l'occurrence. Darcos ne cesse de le seriner et il a raison: les copies de nos écoliers, voire de nos étudiants, étalent un sabir dépourvu de syntaxe et truffé de fautes d'orthographe. Pour l'écrivain francophone que je suis, il y a péril en la demeure de notre culture.
Sarkozy semble partager cet avis. Pourquoi alors sanctuariser les quelques dizaines d'idiomes que l'on parle encore dans nos terroirs, plutôt peu que prou ? Du temps de ma grand-mère, on parlait l'occitan limousin au village. La génération de mon père le comprenait encore mais l'usage s'en perdait; il nous en reste des mots et des tours de langage savoureux, c'est très bien ainsi.
Que des érudits enseignent à titre conservatoire l'occitan à Toulouse, soit; il s'agit de notre patrimoine, et Dieu sait mon conservatisme en la matière. Que des Alsaciens, Bretons, Corses, Catalans, Basques, Picards et autres s'expriment entre eux dans le parler de leurs ancêtres, c'est leur affaire. Mais en institutionnalisant les idiomes, on incite tel farfelu "autonomiste" à exiger l'ouverture d'un cours au collège, au lycée, à la fac, avec à la clé un diplôme d'une utilité pour le moins marginale. La France n'a plus les moyens de se payer des danseuses, les modernes duchés induits par la décentralisation lui coûtent déjà assez cher.
Depuis l'édit de Villers-Cotterêts, la langue française est le lot et le bien commun du peuple français. Ceux qui, à gauche notamment, se gargarisent à tous escients du mot « république » et vouent un culte aux "hussards noirs" de Jules Ferry seraient-ils frappés d'amnésie ?
Ce culte, je le partage; les instits de la IIIe République ont alphabétisé les masses rurales en deux générations, et accéléré par le fait le fameux "ascenseur social" qui a donné un Nadeau, un Pompidou entre autres fils ou petit-fils de paysans. Mais pour atteindre ce but, ils interdisaient sans vergogne l'usage des « patois », même à la récré. Un bobo les eût sans doute traités de fachos. Peu importe : ils ont donné à des Français, venus de partout, le sésame d'un patriotisme. « Une patrie, écrivait Cioran, c'est une langue, et rien d'autre. » Cioran était roumain de souche, son « rien d'autre » ne vaut pas pour tous.
Reste que le latin jadis, le français depuis auront tissé au fil des siècles la trame d'une unité précieuse. Ne la déchirons pas pour complaire aux quelques apôtres de la réclusion dans les mornes geôles de l'identitaire. Au regard des géants qui surgissent dans l'Histoire, notre Hexagone et ses appendices sont microscopiques. A quoi bon y cultiver en vase clos des ferments de désintégration ? Militons plutôt pour la cause francophone: nul ne s'en soucie alors qu'elle est cruciale pour l'avenir de notre progéniture.
Denis Tillinac
(1) Lire mon article « Auvergne : toi ou patois »
http://ventdauvergne.canalblog.com/archives/2006/06/25/2165906.html