Il faut abattre Giscard
Le troisième tome des mémoires de Valéry Giscard d’Estaing qui vient de paraître (1), jette un pavé brutal dans la mare politicienne en exposant, dans sa nudité, la trahison de son ancien premier ministre devenu, depuis, calife à la place du calife. Mais s’agit-il d’une révélation ou de la confirmation de ce que beaucoup de Français savaient déjà ?
J’ai gardé quelques souvenirs de cette campagne présidentielle de 1981, avec un Jacques Chirac, menant, à la tête de ses troupes du RPR, une campagne agressive. Entre les deux tours, pas d’appel à voter Giscard mais le libre choix laissé aux électeurs chiraquiens. Le maire de Paris d’alors indiqua seulement quel serait son vote « à titre personnel ».
La stratégie chiraquienne m’avait, d’ailleurs, été décrite, en quelques mots, plusieurs années auparavant, preuve que l’affaire venait de loin et était profondément enracinée dans les têtes gaullistes. C’était à l’occasion d’une réunion électorale à propos d’élections cantonales dans une zone rurale du département de l’Aube, où je résidais alors. Membre, à l’époque, du Mouvement des Radicaux de Gauche de Robert Fabre, j’allais porter la contradiction au candidat radical…de droite. A l’issue de la réunion, un cadre RPR de la ville voisine, homme sympathique et disert, bavarda avec moi et me dévoilà le pot aux roses. J’en restai comme deux ronds de flan, puis, peu à peu, oubliai ce qui était, en fait, une révélation politique de première importance.
L’affaire du coup de Jarnac RPR refit surface en 1993, quand Jean-Jacques Servan-Schreiber publia ses mémoires, intitulées « Les fossoyeurs ». Il y racontait, par le menu, une rencontre avec Jacques Chirac, à la demande de ce dernier, avant les législatives de 1978. Et ça donne cela :
« - Vous êtes d’accord avec moi, j’en suis sûr : nous ne pouvons pas laisser Giscard être réélu (dit Chirac). Il a trop mal géré son septennat.
Je ne réponds pas.
Je lui demande de bien vouloir m’expliquer sa stratégie et ses objectifs.
- Naturellement, il faut faire élire Mitterrand.
Nous ne sommes pas du tout intimes, je suis évidemment libre de répéter ce qu’il me dit-sauf qu’on ne me croirait pas (…). Chirac veut me convaincre :
- Ecoutez, Mitterrand est tellement prisonnier de son pacte avec les communistes qu’il sera vite dans l’incapacité d’agir. (…) Il n’ira pas au bout de son mandat.(…) A ce moment-là, débarrassés de Giscard et de Mitterrand, nous pourrons reprendre le pouvoir et enfin agir.
Ce plan de Chirac peut paraître fou. C’est celui qu’il va mettre en œuvre. »
L’affaire est aujourd’hui entendue. Elle éclaire d’une lumière crue les mœurs politiciennes françaises. Des hommes, assoiffés par le pouvoir, sont prêts à toutes les trahisons pour accéder à la fonction suprême. Mais, comme voyante extra-lucide, il y a mieux que Jacques Chirac, celui-ci dut attendre 1995 pour réaliser son rêve. S’il y a une leçon à tirer de cette malheureuse histoire, c’est que les Français devraient, désormais, être très exigeants, entre autres choses, sur la valeur morale de ceux qui se présentent à leurs suffrages.
Serge Weidmann
(1) Le Pouvoir et la vie *** Choisir aux Editions Compagnie 12, 2006