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Vent d'Auvergne
3 juillet 2005

Quand Jacques Chirac était libéral

Les amis de Charles Pasqua se font un malin plaisir, à chaque consultation populaire au sujet de l’Europe, de ressortir des tiroirs l’ « Appel de Cochin » de Jacques Chirac et de le diffuser très largement.

Ce dernier n’a pas seulement changé d’avis concernant l’Europe. Avant de rejeter libéralisme et communisme comme étant les deux mains du diable, il fit profession de foi libérale il y a quelque vingt ans de cela. Le texte que vous trouverez ci-dessous en fait foi.

Il s’agit d’une intervention qu’il fit le 26 janvier 1984 au cours d’un dîner débat organisé à Paris par deux associations libérales : l’ALEPS de Jacques Garello et le GRAAL de Georges Mesmin.

Ce texte reste valable comme programme libéral pour 2007. Et si le Jacques Chirac de 1984 était transporté en 2005 d’un coup de baguette magique, il serait un critique impitoyable de l’action de l’actuel Président de la République.

LE LIBERALISME PEUT -IL INSPIRER UN PROJET POLITIQUE ?

par Jacques CHIRAC

Voici quelques temps le professeur Lepage, dans « Demain le capitalisme », répondait ainsi à la question « Quellej_chirac2 politique économique à long terme un mouvement libéral doit-il proposer à une nation » en affirmant : « Aucune ».

Je ne voudrais pas aller aussi loin, ni me montrer aussi affirmatif. Je me demande au contraire si, dans la France d'aujourd'hui, nous ne pourrions pas avancer, au sujet du libéralisme, ce que l'on disait naguère au sujet du gaullisme : « Tout le monde a été, est, ou sera gaulliste. » Il suffirait alors de dire : « Tout le monde a été, est, ou sera libéral », à condition de bien savoir

qu'il s'agit de la signification française de ce terme, et non de son sens américain.

Tout d'abord, qu' est-ce que le libéralisme ?

Sans entrer dans une querelle doctrinale -dont je sortirais vaincu à coup sûr !- je crois que l'homme politique peut énoncer quelques propositions simples, sans doute sommaires, mais qui ont l'avantage d'être claires.

En premier lieu, il doit prendre conscience que la place de l'État dans la société française, et pas seulement dans l'économie, est tout à fait excessive.

Il faut donc la ramener à de plus justes proportions.

La place du marché, ensuite, comme régulateur de la vie économique et de la concurrence a été très insuffisamment respectée. Il faut donc la rétablir .

Enfin, la place du profit, comme régulateur de la vie de l'entreprise privée, n'a pas été assez reconnue. Il faut donc la restaurer .

A partir de ces trois propositions, qui ne sont peut-être pas celles de la doctrine mais qui sont celles que reconnait la politique, s'articulent naturellement un certain nombre de développements qui font toute la richesse de la pensée libérale. Autant battre tout de suite notre coulpe: ces principes n'ont pas été -tant s'en faut -respectés bien avant 1981. Dans notre pays, c'est bien connu, la tradition libérale est loin d'avoir la légitimité historique qui est la sienne dans les pays anglo-saxons. Dans notre pays, nourri de ce dirigisme dont l'ancêtre lointain est peut-être le colbertisme, le libéralisme a parfois été l'exception, tandis que l'interventionnisme a généralement été la règle. Dans les pays anglo-saxons, également, les principes du libéralisme ont été écornés. Aux États-Unis même, paradis supposé de la libre-entreprise, il y a eu le « New Deal» et il y a toujours l’ « American selling price », sans oublier le sauvetage in extremis de Chrysler par le gouvernement fédéral. Cependant, la différence de taille est que la référence reste le libéralisme. Tout manquement à ce principe, est considéré comme une faute, avouée ou implicite. Il convient donc de la réparer au plus vite.

Cependant, si l'interventionnisme d'État, par le passé, n'avait jamais cessé d'être une référence, au moins parmi d'autres, il est devenu, aujourd'hui, la norme quasiment exclusive. Sans doute certains ténors de gauche, comme le ministre de l'Industrie, voudraient nous faire croire qu'ils ont trouvé, tardivement, leur chemin de Damas. Mais comment .les croire lorsque tout montre que ce dirigisme a pris une forme particulièrement exacerbée, connue sous le nom de «volontarisme». Cette expression est significative et digne de la « novlangue » d'État que n'aurait pas reniée Orwell. Elle consiste, en effet, à imposer au plus grand nombre la volonté du petit nombre, ce qui revient à nier ou supprimer le marché. Car c'est dans ce marché, où certains veulent voir sinon le diable du moins une entité mystérieuse et maléfique, que se réalise la volonté du plus grand nombre inspiré par des réactions de simple bon sens. La plupart des hommes qui constituent le marché veulent travailler à condition d'être justement récompensés. Ils acceptent de travailler davantage, de prendre des risques pour produire ou créer, mais à condition qu'on ne leur prenne pas les fruits de cet effort. Enfin, ils veulent bien épargner mais à condition que ce renoncement à la consommation immédiate ne soit pas, tôt ou tard, confisqué par le fisc. De même, s'ils vendent ou achètent, ils souhaitent que ce soit au plus juste prix, c'est-à-dire celui du marché. Ce bons sens, aussi ancien que le moment où les hommes ont commencé à produire, s'est trouvé codifié, identifié et justifié de façon rationnelle. C'est là son immense mérite. Or, de cette rupture plus ou moins consommée avec les valeurs libérales, attestent les différentes mesures prises par le gouvernement socialo-communiste depuis 1981. On peut en résumer l'action au travers des nationalisations qui, plus que toute autre disposition, par le rachat de groupes industriels, ont réduit le champ du secteur privé.

Soulignons au passage que, avec la nationalisation du crédit, l'État exerce directement son contrôle, non seulement sur le « haut de gamme » de l'industrie mais aussi sur le « bas de gamme" des entreprises petites et moyennes. Mais il faudrait également prendre en compte cet extraordinaire foisonnement de lois et de règlements dans les domaines les plus divers comme celui, en particulier, de la concurrence, des prix et des droits des consommateurs. Il faut aussi mentionner l'importance du « fait » syndical tel qu'il ressort des trop fameuses « lois Auroux ». Elles tendent à faire du syndicaliste le partenaire obligé du chef d'entreprise auquel il substitue sa propre décision sans, pour autant, s'associer aux responsabilités et aux risques. Faire du syndicat un « partenaire économique » revient à politiser les rapports au sein même de l'entreprise privée. On pourrait ajouter à cette liste le développement de la fonction publique ou, si l'on préfère, la fonctionnarisation croissante. Nous savons que, de 4, 5 millions d'agents il y a cinq ans, la fonction publique, au sens large, en compte à présent 6 millions, auxquels il faudra ajouter peut-être un jour 150 000 enseignants du privé. L'Etat est devenu une sorte de Gargantua dont l'appétit ne cesse de croître à mesure qu'il dévore. Les conséquences sont graves car, à ce stade là, cela fait d'ores et déjà plus d'un Français sur trois -si l'on compte une population active de l'ordre de 21 millions- qui travaille pour l'État. Ainsi s'accentue davantage la rupture entre deux France, celle qui  produit, s'expose au chômage et aux risques professionnels, et la France de la fonction publique, aux missions infinies.

Que devient, dans ce domaine. la justice sociale ? Quatre démarches, nationalisations, réglementation, syndicalisation et fonctionnarisation pèsent ainsi sur la croissance économique et le niveau de vie des Français. Elles portent une part de responsabilité dans la fantastique croissance des prélèvements sociaux qui vont atteindre 46 à 48 % du PNB. Elles se traduisent par un alourdissement écrasant de la fiscalité directe et dérèglent les mécanismes

des prix, qui ne sont plus un indicateur de la rareté et un guide pour les mécanismes du marché. Plus graves et sans doute plus durables, il faut redouter les effets de ce découragement à travailler. Nombre d'agents économiques préfèrent arbitrer en faveur des loisirs au-delà d'une certaine pression fiscale et un certain seuil de protection sociale. La propension à épargner est remise en cause, dès lors que 1'épargne est insuffisamment récompensée et que l'investissement se situe dans une avenir incertain.

Dans un contexte semblable, et face à de telles perspectives, que peut-on faire ?

Le libéralisme économique, après une période d'éclipse, vient d'opérer un retour en force dans les économies industrialisées. Nous observons aujourd'hui ce qui se passe aux États-Unis de Ronald Reagan, dans le Royaume Uni de Margaret Thatcher ou dans l'Allemagne d'Helmut Kohl. On voit le libéralisme triompher et, d'ailleurs, réussir. Sauf en France, Or, les résultats sont là. Aux États-Unis le taux de croissance pour 1983 aura été de 6 % , à la suite d'une reprise d'une vigueur inespérée. Le Royaume Uni, après une longue période de stagnation et de déclin a retrouvé les chemins de l’expansion cependant que l'Allemagne, à nos portes, émerge à son tour de l'ornière de la récession. Partout c'est la reprise -ou les prémisses -, sauf en France. Il y a là quelque chose qui ne peut manquer de frapper les esprits les plus réservés.

Au total, le libéralisme, cela a l'air de marcher. ..Face à une machine d'État devenue folle, face à une fonction publique à la croissance monstrueuse, face à une situation déjà difficile mais encore plus sombre pour les années à venir, que pourra faire, à l'heure de l'alternance, le responsable politique qui aura en charge les intérêts dù pays?

Il n'aura guère d'autre choix que le libéralisme. Plus exactement, le libéralisme ne sera pas un choix mais une nécessité.

Certes, il ne faut pas se payer de mots. Le projet politique que l'opposition, globa1ement, cherche à mettre en oeuvre ne sera certainement pas d'application aisée. Si le libéralisme est un peu comme le phare qui sert de référence dans l'obscurité, il n'empêche que l'homme politique est le capitaine à la barre du navire, soumis aux vents contraires et aux courants opposés. Il ne peut pas toujours emprunter la ligne la plus courte. S'il peut biaiser, ou perdre du temps, l'important est qu'il conserve la direction que lui indique le phare.

L'objectif qui s'imposera à la nouvelle majorité de demain sera donc de réduire la place de l'État dans l'économie. Elle devra dénationaliser et restituer au marché la part qui lui revient en déréglementant et en restaurant la noble notion du profit. Ici, la réforme consistera moins à ajouter d'autres réglements ou d'autres lois qu'élaguer le maquis réglementaire et législatif afin de redonner à l'initiative privée le champ dont elle doit disposer .

En paraphrasant un humoriste anglais qui affirmait que le seul problème du christianisme était de n'avoir jamais vraiment été essayé, je dirais que le problème majeur du libéralisme en France est de n'avoir jamais été vraiment mis en oeuvre.

A nous de prouver que le libéralisme ça marche aussi en France.

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